Pour commencer, pourriez-vous nous parler brièvement de vous-mêmes et de vos études ?

J’ai grandi dans la magnifique campagne du Yorkshire dans le nord-est de l’Angleterre. Quand j’étais enfant, j’étais toujours en train de dessiner et de fabriquer des objets. Je voulais me consacrer à la création et l’architecture me semblait offrir l’enseignement et les perspectives les plus ouverts pour pouvoir exercer mes talents.

J’ai terminé mes études d’architecture à l’université de Cambridge puis j’ai suivi un master de sciences humaines en éco-design.Dès la fin de mes études en 2000, j’ai intégré une agence d’architecture située à Londres pour travailler sur des projets de bâtiments et de ponts partout dans le monde. Puis, en 2009, j’ai sorti le tout premier concept d’un nouveau type de chaussure – et les choses ont commencé à changer…

Ce nouveau type de chaussures est totalement inédit ; comment vous est venue cette idée originale ? Quelle est l’origine de leur création ?

L’idée est venue répondre à mon sentiment que les chaussures « traditionnelles » ont cessé de l’être. J’entends par là qu’elles ont fini d’évoluer. La raison d’être de la tradition est qu’en évoluant les choses que nous créons aujourd’hui font l’histoire de demain.

J’explorais cette idée dans divers domaines de la création dont l’un était notamment la création de chaussures. Des tas d’exemples existent dans le monde de la création où une chose cesse d’évoluer parce que le processus créatif ne produit plus qu’une pâle copie de ce qui existait déjà. Les productions, alors, deviennent moins efficaces, plus onéreuses et plus longues à fabriquer, tout en consommant plus de matériau qu’il est nécessaire.

Je me suis tout simplement posé la question, puis j’ai décidé de changer les choses.

Qu’est-ce qui a réveillé votre passion pour les chaussures ?

Pour moi, la mode n’est rien d’autre que de l’architecture destinée au corps. Nous l’habillons, l’enveloppons, le révélons et le sublimons grâce aux formes et aux matériaux. Tout comme l’architecture enveloppe l’espace et ses usages. Les chaussures ressemblent en plus petit à des créations architecturales pour habiller.

Quelle a été votre source d’inspiration ?

La forme de la chaussure découle d’une étude faite sur la mécanique du corps. Comment nous nous tenons, comment nous marchons et comment la chaussure transmet notre poids au sol. L’exemple le plus clair reste la trace de pas sur le sable, elle montre à quels endroits s’exerce la pression du corps.

Si vous y ajoutez un talon haut, il faut alors soutenir le talon du pied et protéger sa pointe. Je me suis alors posé la question de savoir quelle était l’utilité de la partie médiane. Pratiquement aucune, si aucune pression ne s’exerce à cet endroit de la chaussure.

Quel architecte admirez-vous le plus ?

J’ai toujours apprécié le travail de l’architecte japonais Tadao Ando. Minimalistes dans l’utilisation des matériaux, ses édifices se présentent comme des œuvres sculpturales pour la lumière.

Pourriez-vous décrire la chaussure Mojito ?

Mojito est une chaussure élégante et sculpturale qui tourbillonne autour du pied tout en l’enveloppant d’une douce et confortable doublure matelassée.

Nous utilisons uniquement les matériaux nécessaires pour protéger et soutenir le pied. Ce qui lui procure une sensation agréable de légèreté.

La Mojito profite d’une conception en matériaux composites d’avant-garde, calculée avec un haut niveau de tolérance qui la rend confortable à porter, mais néanmoins légère. En fait, nous travaillons sur la production avec des fabricants haut de gamme de ski et de snowboard parce qu’ils maîtrisent les technologies adéquates et les procédés de fabrication.

Quelles occasions habillent le mieux les chaussures Mojito ?

Tout dépend du choix de la couleur. La Mojito est comme un poisson dans l’eau au bord d’une piscine, elle attire l’attention à une soirée, elle illumine le tapis rouge et tient toujours le devant de la scène sur les podiums. J’ai également été extrêmement satisfait de voir la Mojito tenir la vedette chez de nombreux habitués des mariages.

Votre concept constitue une véritable révolution dans la création des chaussures. Qu’en pensez-vous ?

C’est très flatteur, mais ce n’était pas mon intention ! J’en suis juste venu à m’interroger sur la tournure que prenaient les choses. De bien des façons, je pense que le processus était inévitable. Si je ne l’avais pas initié, tôt ou tard, il aurait de toute manière eu lieu. Par ailleurs, le concept est né en 2006, il lui a donc fallu un certain temps pour arriver au stade d’aujourd’hui.

La technologie et la conception ont connu de nombreuses avancées sans lesquelles certaines formes auraient tout simplement été trop compliquées à dessiner et à produire.

En même temps, les changements ont été conduits par une sensibilité et une exigence plus grandes du consommateur à l’égard de la technologie. Beaucoup d’entre nous ont des smartphones et des smartwatchs avec des processeurs plus puissants que ceux que possédaient les plus sophistiqués des ordinateurs il y a seulement 20 ans. En revanche, nos vêtements et nos chaussures restent fabriqués de la même manière depuis des centaines d’années et pour certaines sandales, depuis des milliers d’années.

Comment envisagez-vous l’évolution des chaussures dans les cinquante années à venir ?

Pourquoi pas plutôt dans 5 ou 10 ans ? Aucun besoin d’aller voir dans le futur, la technologie existe déjà, même si elle n’est pas encore entrée dans l’usage courant. Au cours de notre vie, l’opportunité se présentera de posséder des unités de production domestiques (autre nom pour l’impression 3D) avec des machines faciles à utiliser, de la taille d’un four micro-ondes.

Une mise à jour sera envoyée via votre téléphone ou votre montre sur un modèle nouveau de chaussure, de bracelet de montre, de monture de lunettes, de coque pour téléphone, de tout ce que l’on peut imaginer. Vous presserez la touche Imprimer, partirez travailler puis reviendrez, le nouvel objet sera prêt. Ou bien vous lancerez le processus avant d’aller vous coucher et les nouvelles chaussures vous attendront au réveil. Exactement comme dans le conte des lutins.

On peut parfaitement envisager que Zalando possède ses propres machines qui seront mises à disposition des clients sous forme de location à la carte de type Netflix. On pourra alors souscrire à des services de téléchargement et recevoir de nouvelles mises à jour de ses stylistes préférés directement chez soi.

Il y aura également un système hybride. Les parties de la semelle qui exigent habituellement un moulage compliqué seront imprimées en 3D chez soi et les parties de la tige nécessitant d’être cousues main seront envoyés par la poste. Puis, vous n’aurez plus qu’à emboîter ou clipper les deux parties, exactement de la même manière dont vous changez la coque de votre iPhone.

Ces modèles de chaussures s’adressent manifestement aux femmes. Pensez-vous qu’un concept similaire pourra éventuellement convenir aux hommes ?

En vérité, la création de la Mojito a commencé sous forme de maquette en papier adaptée à mon propre pied, puis j’ai ajouté le talon. Un modèle plat est actuellement en production, mais il sera précédé par l’édition d’une gamme de styles Julian Hakes complètement nouveaux.

Viendra un temps où je ferai probablement de la confection masculine, tout naturellement puisque j’ai constamment à disposition un exemplaire de taille de pied pour les chaussures pour hommes !

Que pensez-vous de l’impression 3D ?

Nous sommes à l’aube d’une révolution dans les processus de fabrication. La maison de chacun peut devenir une usine personnelle miniature. Mes 2 enfants connaissent nos imprimantes 3D et cela leur semble tout à fait naturel. Même s’ils perdent un élément de leur jeu de construction préféré, ils se connectent au site du fabricant, téléchargent la pièce manquante et la remplacent en l’imprimant.

Les premières imprimantes 3D possédaient des restrictions de taille, mais avec les nouveaux modèles comme Ultimaker 2, une chaussure entière peut être fabriquée d’un seul tenant et dans différents matériaux. De nombreuses techniques existent. Certaines imprimantes pour l’industrie peuvent à partir de modèles numériques 3D produire des objets composés d’aluminium, de titane et d’or.

Pour les stylistes tels que moi, il y aura un changement considérable. Plutôt que de vendre des produits finis, je pense que nous nous retrouverons à céder l’exploitation de nos droits sur nos modèles 3D à des compagnies comme Zalando qui les rendra disponibles avec son service d’impression 3D.

Pour s’accomplir, ce changement requiert que les stylistes maîtrisent parfaitement la conception assistée par ordinateur et qu’ils possèdent une connaissance précise de la fabrication par impression 3D.

Peu de chaussures peuvent être à l’heure actuelle produites par impression 3D. Je suis comblé que la Mojito Julian Hakes soit la première chaussure de défilé au monde fabriquée par impression 3D. Elle est déjà prête pour le futur lorsqu’il adviendra.

Que pouvons-nous espérer de vos créations à venir ?

Pendant que je créais la Mojito, je me demandais quelles autres formes de chaussures ma démarche pourrait révéler. Alors, j’ai conçu une collection beaucoup plus vaste, mais la Mojito s’est imposée, la première, dans les défilés. C’était certainement le processus le plus osé et le plus difficile, car il était loin d’être facile, mais il était vraiment unique.

Plusieurs styles flambant neufs de Julian Hakes pourront être découverts aux prochains défilés du SS16 de la Fashion Week de Londres. La nouvelle collection comporte un modèle de chaussure compensée avec 2 hauteurs de talon, une nouvelle sandale sculpturale totalement futuriste et une adaptation moderne de la sneaker.

Pendant plusieurs années, nous avons travaillé à étoffer nos collections et je suis impatient de donner à voir le fruit de notre travail.